Avant tout investissement, une bonne due diligence est indispensable. Le procès d’Elizabeth HOLMES, fondatrice de la start-up Theranos, vient de se conclure en Californie et le prouve une nouvelle fois.
En effet, la cour fédérale de San José l’a reconnue coupable de quatre des onze chefs d’inculpation pour lesquels elle était poursuivie.
Revenons sur l’histoire de Theranos, une des start-up les plus en vue de la Silicon Valley avec sa fondatrice emblématique élevée au rang de star par les médias.
Parvenue à lever près d’1,4 milliards de dollars auprès d’investisseurs aussi prestigieux que Larry Ellison, fondateur d’Oracle, ou Tim Draper, un des investisseurs les plus renommés au monde, Theranos n’était en réalité que mensonge.
1. Genèse de Theranos
Née le 3 févier 1984 à Washington DC (Maryland), Elizabeth HOLMES naît dans une famille bourgeoise et où son père, haut fonctionnaire, occupe successivement différents postes de direction dans des agences gouvernementales.
Élève brillante et extrêmement compétitrice, Elizabeth HOLMES déménage avec sa famille dans la ville de Houston (Texas) à partir du lycée et décide d’adopter un rythme de vie tourné exclusivement vers sa réussite sociale et financière : travailler dur et dormir peu.
À l’été 2002, elle débute sa formation supérieure en génie chimique au sein de la très élitiste université de Stanford (Californie) et obtient une bourse de 3000 dollars pour développer un projet de recherche.
Major de promotion pour sa première année, elle réalise un stage à l’institut du génome de Singapour puis dépose un brevet pour un patch adhésif à poser sur le bras permettant de prélever du sang à travers la peau grâce à des aiguilles microscopiques.
Ce combiné de nano et de micro-technologie est censé être capable d’analyser le sang de son porteur et de prendre une décision d’administration de médicaments.

À la rentrée universitaire de l’automne 2003, elle préfère mettre fin à ses études à seulement 19 ans pour créer sa start-up.
Son professeur Channing Robertson, référence ultime en génie chimique à Stanford, se montre alors enthousiaste et déclarera qu’il n’avait encore jamais connu un étudiant de ce niveau.
Financée dans un premier temps par le budget réservé à ses études, Elizabeth HOLMES fonde Real-Time Cures qui changera de nom en Theranos, contraction de therapy et diagnosis.
Elle se fixe l’objectif de révolutionner l’analyse sanguine, marché représentant plus 75 milliards de dollars rien qu’aux Etats-Unis.
Après à peine une année d’existence, la start-up parvient à lever 500 000 dollars de fonds auprès de Tim Draper dans le but de financer ses recherches.
Tim Draper est sans aucun doute une des plus grandes références du capital risque dans le monde et un personnage extrêmement influent. Il est aussi le père de Jesse Draper, amie de longue date d’Elizabeth Holmes pendant les quelques années de son enfance où elle a vécu à Woodside (Californie).
Liste des levées de fonds réalisées par Theranos
Période |
Montant levé en millions de $ |
Valo en millions |
Fonds d’investissement impliqués (liste non exhaustive) |
Personnalité impliquée |
Juin 2004 |
0,5 |
|
Draper Fisher Jurvetson (Threshold) |
Tim Draper |
Fév 2005 |
5,8 |
|
- |
Rupert Murdoch |
Fév 2006 |
9,1 |
|
ATA Ventures |
- |
Nov 2006 |
28,5 |
165 |
|
- |
Juil 2010 |
45 |
|
- |
- |
Sept 2013 |
50 |
|
Walgreens |
- |
Fév 2014 |
198,9 |
|
- |
- |
Mai 2015 |
348,5 |
|
Raymond Bingham, Partner Fund Management, Palmieri Family Trust, Esoom Enterprise, Jupiter Partners, B.J. Cassin, Continental Properties, BlueCross BlueShield Venture Partners |
- |
Mai 2017 |
582,2 |
9 000 |
Puget Sound Venture Club |
- |
Déc 2017 |
100 (emprunt) |
|
Fortress Investment Group |
- |
sources : https://www.crunchbase.com/organization/theranos/company_financials
Lors de sa levée de fonds suivante, si le fonds spécialisé MedVenture Associates exprime ses plus gros doutes quant à la technologie proposée par Theranos, la start-up parvient tout de même à lever quelques 6 millions de dollars en février 2005 auprès de son réseau de connaissances et afin de poursuivre ses recherches pour son TheraPatch.
Cependant, Elizabeth est contrainte de se rendre à l’évidence et abandonne son idée initiale trop peu réaliste pour s’orienter vers la conception d’un appareil portatif d’analyse sanguine aux mêmes fonctionnalités que son TheraPatch.
Ainsi, elle ambitionne d’effectuer de multiples tests sanguins à partir d’une seule goutte de sang, soit environ 0,05ml.
En comparaison, les tubes de prélèvement en France ont une contenance de 5ml et un bilan sanguin classique nécessite environ 5 tubes soit 25ml de sang.
En plus de diviser par 500 la quantité de sang nécessaire pour un bilan sanguin, Elizabeth HOLMES souhaite un test peu onéreux avec des résultats bien plus rapides que les normes en vigueur de plusieurs heures.
Mais, confronté aux réalités des recherches en science dure, Theranos ne parvient pas à concevoir de prototype fonctionnel avant d’avoir épuisé toute sa trésorerie.
2. Elizabeth HOLMES commence à mentir à ses investisseurs
À court d’argent, l’entreprise parvient tout de même à lever près de 9 autres millions de dollars en février 2006 sur la base de démonstrations truquées de son appareil grâce à des résultats enregistrés à l’avance.
En novembre 2006, lorsque le directeur financier, Henry Mosley, découvre la supercherie 8 mois après son arrivée dans l’entreprise et aborde le sujet avec Elizabeth Holmes, il est renvoyé sur-le-champ malgré ses références et la crédibilité qu’il apportait à la société.
Car, en plus de parvenir à lever des fonds sur une idée somme toute irréaliste, Elizabeth Holmes réussit à s’entourer de personnes extrêmement prestigieuses aux parcours sans faille que ce soit au sein de son conseil d’administration, de son équipe de direction ou de ses chercheurs.
Citons par exemple Donald L. Lucas, formé par Larry Ellison, il est président du conseil d’administration et spécialiste du capital risque, Channing Robertson, doyen associé de l’École d’ingénierie de Stanford, ou Diane Parks, directrice commerciale riche de 25 années d’expérience dans le secteur des laboratoires pharmaceutiques et de la biotechnologie.
En 2009, son compagnon Ramesh « Sunny » Balwani, rejoint la société dont il deviendra président et directeur d’exploitation ainsi que co-auteur de leurs infractions pénales.
Parallèlement, afin de cacher leurs mensonges à l’ensemble des salariés, les deux dirigeants renforcent l’organisation en silos de l’entreprise de telle sorte qu’aucun département ne puisse communiquer avec un autre sans passer par un responsable.
Les courriers électroniques des salariés sont surveillés, un management agressif est de rigueur et une ambiance délétère règne au sein de la société.
Toute personne réfractaire est licenciée après avoir signé de multiples clauses de confidentialité dans le but de garantir son silence absolu.
Officiellement, les deux dirigeants justifient leur obsession du secret par la volonté de se prémunir de l’espionnage industriel des grands laboratoires d’analyse traditionnels.
Dans ces conditions de travail, la société est bien évidemment soumise à un fort turn-over et confrontée à la fuite régulière de ses talents.
En 2010, alors que Theranos initie des discussions avec la chaîne nationale de pharmacie Walgreens, Elizabeth Holmes s’enfonce dans ses mensonges en indiquant que ses appareils peuvent analyser tout type de fluides : salive, urine, selles…
Plus tard, afin de cacher ses insuffisances, l’entreprise utilise des machines Siemens traditionnelles pour réaliser ses analyses sanguines.
3. Des levées de fonds démesurées qui négligent la due diligence
Maniant parfaitement la communication et son storytelling plein d’émotions axé principalement sur la mort prématurée de son oncle et sa volonté d’améliorer le monde, elle séduit rapidement médias et investisseurs et s’impose comme une égérie de l’entrepreneuriat de la Silicon Valley et des Etats-Unis.
Intelligente, belle et pleine d’aplomb elle profite de sa jeunesse pour envoûter les vieux investisseurs milliardaires alors que son conseil d’administration manque cruellement de scientifiques sérieux et investis.
Lors de son ultime levée de fonds de 582 millions de dollars en 2017, la société Theranos est valorisée 9 milliards de dollars et dotée d’un impressionnant conseil d’administration :
- Henry Kissinger, ancien ministre des Affaires étrangères américain
- George Shultz, ancien ministre des Affaires étrangères américain
- Richard Kovacevich, ancien dirigeant de Wells Fargo
- William Perry, ancien ministre de la Défense américain
- William Foege, ancien dirigeant des Centres pour le Contrôle et la Prévention des maladies
- deux anciens sénateurs américains
- Jim Mattis, général quatre étoiles qui deviendra secrétaire à la Défense du président Donald Trump.
La société propose alors une offre très large de quelques 240 tests sanguins extrêmement variés concernant le cancer, le cholestérol ou le diabète à des prix bien inférieurs aux laboratoires traditionnels.
Par exemple, le test pour mesurer le taux de cholestérol est proposé à 3 dollars par Theranos contre 50 dollars dans les laboratoires classiques.
Les médias érigent Elizabeth Holmes en égérie de cette nouvelle génération d’entrepreneurs et relayent sa propagande en l’assimilant à une Steve Jobs au féminin, avec son inséparable col roulé noir et ses présentations publiques largement inspirées de celles du co-fondateur d’Apple.
Détenant toujours plus de 50% du capital de Theranos, son patrimoine personnel est alors supérieur 4,5 milliards de dollars faisant d’elle, la plus jeune femme milliardaire non-héritière au monde.
Particulièrement friande des apparitions médiatiques, elle berne la presse qui demeure dithyrambique et néglige les signaux faibles.
4. Négligence de la due diligence et des signaux faibles
Un article du New Yorker en date du 8 décembre 2014 rappelle pourtant que Theranos communique très peu de données et que sur sa technologie n’a pas été évaluée par des paires, étape obligée pour tout programme médical reconnu.
Aussi, elle fait la une de Forbes, Fortune, Bloomberg Business Week, le magazine TIME la classe parmi les 100 personnalités les plus influentes au monde en 2015, le président Barack OBAMA la nomme ambassadrice internationale pour l’entreprenariat alors qu’elle multiplie les conférences auprès de prestigieuses personnalités telles que Bill Clinton ou Jack MA, fondateur d’Alibaba.
Cependant, à partir du 9 février 2015, le médecin Adam Clapper et le chercheur Richard Fuisz, à qui Theranos a fait un procès pour contrefaçon de brevet, vont accompagner le journaliste John Carreyrou du Wall Street Journal afin de mettre en évidence la supercherie Theranos.
Ce dernier rencontre au fil de ses investigations plus de soixante anciens salariés de Theranos et découvre l’envers du décor : management agressif, mensonge généralisé et paranoïa.
Le 23 juin 2015, une délégation de Theranos est reçue dans les locaux du Wall Street Journal à la demande d’Elizabeth Holmes qui s’inquiète de l’enquête en cours.
Cette délégation composée essentiellement d’avocats dont le très fameux David Boies explique aux journalistes que Theranos ne peut communiquer sur sa technologie au nom du secret commercial et menace le journal de poursuites comme nous pouvons l’entendre sur l’enregistrement de l’entretien
5. La chute de Theranos et d’Elizabeth HOLMES
Malgré tout, le concert de louanges continue et, le 12 octobre 2015, elle fait la une du supplément mensuel du New York Times qui en fait l’éloge.
Mais, quatre jours plus tard, le 16 octobre 2015, le journaliste français John Carreyrou du Wall Street Journal publie le premier article de son enquête et révèle que la quasi-totalité des analyses proposées par Theranos ne sont pas réalisés avec ses propres instruments et que les tests réalisés par la machine Theranos rendent des résultats très aléatoires et non fiables.
Cet article fera date et la série d’articles qui suivra signera le début de la fin pour Elizabeth Holmes et son second Ramesh Balwani.
Le journaliste John Carreyrou est récompensé du prix Pulitzer en 2015 pour son enquête qui déclenche l’intervention des autorités sanitaires du pays.
Elizabeth Holmes se défend tant bien que mal en promettant de publier des études scientifiques prouvant sa bonne foi mais ces études n’arriveront jamais.
Au lieu de cela, la chaine Walgreens demande le remboursement des 140 millions de dollars investis dans leur relation et cesse toute collaboration (Elle n’obtiendra que 30 millions de dollars après transaction).
Par la suite, Mme Holmes est condamnée en juillet 2016 à deux ans d’interdiction de posséder ou de gérer un laboratoire médical.
Prise à la gorge, Theranos amorce alors une transition, licencie 500 personnes et renonce à commercialiser des analyses sanguines.
La société modifie son cœur de métier pour l’orienter vers la conceptualisation d’une petite machine d’analyses de sang permettant de réaliser une multitude de tests sanguins à distance.
Cependant, l’entreprise n’échappe au dépôt de bilan fin 2017 qu’à la faveur d’un ultime emprunt de 100 millions de dollars.
Début 2018, la Securities & Exchange Commission (SEC) conclut son rapport sur Theranos et évoque une “fraude élaborée” basée sur le mensonge à ses investisseurs et partenaires.
Theranos a produit de faux rapports pharmaceutiques, de fausses démonstrations, inventé des contrats qui n’existaient pas et falsifié ses comptes en multipliant son chiffre d’affaires par 1000.
Ainsi, son chiffre d’affaires réel en 2014 était de 100 000 dollars mais annoncé à 100 millions de dollars.
Les perspectives 2015 étaient encore plus incroyables car le chiffre d’affaires d’un milliard de dollars était annoncé avec l’ouverture d’une centaine de centres de prélèvement chez Walgreens et Safeway.
Au total, un peu moins d’un million de faux résultats d’analyse ont été fournis, certains mettant sérieusement en péril la santé de patients.
En juin 2018, Elizabeth HOLMES démissionne de son poste de directrice générale et est inculpée pour escroquerie par le procureur de Californie du Nord aux côtés de son ancien bras droit Ramesh Balwani.
Finalement, après avoir tenté en vain de trouver un repreneur, le nouveau directeur général de Theranos décide de dissoudre la société fin 2018 alors qu’il ne reste que 5 millions de dollars en trésorerie sur les 1,4 milliards levés.
Ce petit pécule servira à payer ses créanciers, les investisseurs perdant la totalité de leur mise.
6. Le procès d’Elizabeth HOLMES
Le 3 janvier 2022, le verdict tombe pour Elizabeth Holmes reconnue coupable de quatre chefs d’inculpation sur onze par la cour fédérale de San José en Californie :- Complot en vue de commettre une fraude électronique contre les investisseurs de Theranos : Coupable
- Complot en vue de commettre une fraude électronique contre Theranos en payant des patients : non coupable
- Fraude électronique contre les investisseurs de Theranos : virement électronique de 99 990 $ d’Alan Jay Eisenman : pas de verdict
- Fraude électronique contre les investisseurs de Theranos : virement électronique de 5 349 900 $ de Black Diamond Ventures : pas de verdict
- Fraude électronique contre les investisseurs de Theranos : virement électronique de 4 875 000 $ de Hall Phoenix Inwood Ltd. : pas de verdict
- Fraude électronique contre les investisseurs de Theranos : virement électronique de 38 336 632 $ du Fonds maître PFM Healthcare : Coupable
- Fraude électronique contre les investisseurs de Theranos : virement électronique de 99 999 984 $ de Lakeshore Capital Management LP : Coupable
- Fraude électronique contre les investisseurs de Theranos : virement électronique de 5 999 997 $ de Mosley Family Holdings LLC : Coupable
- Fraude électronique contre Theranos payant des patients : transmission électronique des résultats des tests sanguins du patient E.T. : non coupable
- Fraude électronique contre Theranos payant les patients : transmission électronique des résultats des tests sanguins du patient M.E. : non coupable
- Fraude électronique contre Theranos payant des patients : virement bancaire de 1 126 661 $ utilisé pour acheter des publicités pour les centres de bien-être Theranos : non coupable
7. La due diligence d’Avera
Le mensonge est dans l’ADN de la Silicon Valley comme le rappelle la fameuse formule Fake it until you make it, fais semblant jusqu’à ce que tu y arrives.
De nombreuses sommités tels Bill Gates, Larry Ellison et Steve Jobs l’ont appliqué mais sont parvenus à leurs fins.
Ainsi, à ses débuts, Oracle avait largement exagéré les capacités de son logiciel de données et avait commencé à en distribuer des versions pleines de bugs.
Cependant, l’éthique est tout autre lorsque des vies sont en jeu comme dans le secteur médical.
La loi SAPIN II du 8 novembre 2016 pour la transparence, l’action contre la corruption et la modernisation de la vie économique ne concerne que peu les fonds d’investissement dans leurs opérations.
En effet, l’obligation de vigilance concerne les fonds reçus et non les fonds versés.
Cependant, à travers son exemple, Elizabeth Holmes démontre qu’il est essentiel de procéder aux vérifications nécessaires avant tout investissement.
Malgré une fraude énorme, partenaires, salariés et investisseurs étaient tous trompés par son organisation mensongère, son pouvoir et ses promesses de bénéfices.
Qui pouvait imaginer en 2014 qu’elle falsifiait son chiffre d’affaires en le multipliant par 1000 ?
Aussi, la due diligence est parfois négligée par les investisseurs par manque de temps, de moyens ou parce que guidés par le fameux FOMO, Fear of Missing Out, la peur de passer à côté.
Dans le cas de Theranos, les audits financiers et juridiques des investisseurs se sont appuyés sur les éléments fournis par l’entreprise.
La due diligence d’Avera vient le plus souvent en complément de ces deux audits et s’appuie presque exclusivement sur des éléments collectés par ses propres services de recherche et d’enquête.
Les informations sont croisées, vérifiées sur place le cas échéant et analysées afin d’évaluer les risques encourus : vérification de l’organigramme du groupe, analyse des profils de l’équipe dirigeante, évaluation de la situation financière réelle, évaluation des risques d’atteinte à l’image de marque…
Grâce à ses équipes de qualité et à ses due diligence tout aussi qualitatives, Avera a mis fin à des projets d’investissement d’envergure.
Dans le même temps, le cabinet a pu lever les doutes sur de très nombreux autres et rassurer ses clients quant aux risques encourus.